Attention : perte de mémoire en cours

L’espace public joue un rôle fondamental dans notre rapport collectif à la mémoire et à l’histoire. Qu’il s’agisse de sites historiques où des événements révolutionnaires ont eu lieu, de bâtiments à valeur patrimoniale qui évoquent des modes de vie d’autrefois ou encore de monuments qui traduisent notre volonté de glorifier le souvenir de personnages ou de faits marquants, les éléments qui le composent témoignent de notre relation au passé. La façon dont sont interprétés, aménagés, classés et gérés les lieux historiques, comment ils sont mis en valeur et les activités qui s’y tiennent s’avèrent souvent plus représentatifs de la modernité qui les administre que de la période au cours de laquelle ils se sont déroulés. De même, les monuments sont le fait d’une interprétation de la postérité soulignant de quelle manière on élabore notre mémoire collective et reflètent la sélection qui est à l'œuvre dans l’acte de commémoration ou de célébration de notre histoire. Ainsi, ils incarnent à la fois la façon dont on se souvient du passé et agissent comme symboles ostentatoires qui conditionnent notre mémoire collective.

L’acte commémoratif dans ses différentes déclinaisons peut être appréhendé comme une négociation entre deux époques, filtrée par le cadre de la société dans laquelle il s’inscrit. Il intervient par exemple dans la dénomination des voies de circulation, lieux publics, parcs et autres, et dans le choix des personnages pour lesquels sont érigés statues, stèles et monuments. Ces pratiques changent au rythme des évolutions sociales et culturelles pour mieux s’accorder aux valeurs modernes comme la décolonisation et l’inclusivité. En plus des éléments mentionnés, la mémoire se manifeste dans l’espace public par le biais d’événements comme des festivals, des défilés ou autres mobilisations socio-culturelles. Anniversaires de fondation des villes, fêtes nationales, parades, l’espace public est le théâtre de rassemblements citoyens qui consolident le sentiment communautaire dans un lieu appartenant à toustes et jouent un rôle fondamental dans l’exercice de mémoire des collectivités.

La revalorisation des espaces publics en fonction de leur valeur patrimoniale et historique correspond à l’intérêt croissant que les autorités portent aux ressources qu’ils comportent en matière d’affirmation de l’identité d’un lieu, d’une société ou d’une culture. Elle est notamment motivée par le contexte de la mondialisation qui soulève l’importance de réaffirmer l’identité des espaces pour les communautés et de renforcer leur cohésion par le partage d’un passé collectif. Mais comment assurer un dialogue harmonieux entre les modes d’action et structures du passé et ceux du présent dans l’intention de dynamiser un lieu ? Les pouvoirs décisionnels démontrent un intérêt accru pour un mode de préservation qui ne relève pas seulement de l’entretien et de la conservation des sites et des bâtiments, mais aussi de l’encouragement pour l’animation du rapport à ces derniers (illumination des bâtiments, marchés, fêtes, etc.). On observe une tendance généralisée à la réintégration des éléments patrimoniaux dans l’écosystème de la vie urbaine et leur adaptation à la vie contemporaine tout en les investissant avec de nouvelles perspectives culturelles. Mais la mémoire est sélective et notre responsabilité citoyenne nous engage à remettre en question l’acte de commémoration et le rôle de l’espace public dans la reconfiguration de notre mémoire pour la compréhension historique, car le passé n’est pas un concept immuable et évolue constamment dans le présent.

Légende et crédit : Pont ferroviaire levant Wellington et pivotant CN-Du port, Bibliothèque et Archives Canada