Espace public à vendre
Et si l'espace public était à l'abri de la logique de développement capitaliste et de surenchère lucrative?
La gestion des espaces publics par des intérêts privés comporte de multiples problématiques d’ordre social, éthique, moral, politique et économique. La perception de ce mode d’administration révèle un clivage marqué chez les citoyen.ne.s. D’une part, les critiques affluent pour dénoncer la manière dont les entreprises acquièrent des biens et services relevant du domaine public, mettant en exergue la crainte de la privatisation des ressources communes (jardins, parcs, ruelles, accès aux rives, etc.). De fait, la privatisation des biens publics est largement perçue comme une menace pour la démocratie et à la cohésion sociale. Elle participe au renforcement des inégalités sociales en donnant un accès privilégié aux espaces et aux services publics à certains groupes. En portant atteinte à la participation et à l’accès égalitaire, la privatisation des espaces publics encourage la ségrégation raciale, sociale, de genre, économique et culturelle. La prolifération de ces phénomènes a pour effet d’annuler la quotidienneté des lieux et d’encourager la surenchère lucrative des espaces publics.
D’autre part, ces initiatives peuvent être saluées pour les ressources qu’elles offrent puisque les investisseurs privés disposent de plus grands moyens financiers pour investir dans la revitalisation et l’entretien des espaces publics. Ces derniers ont de même intérêt à favoriser la fréquentation des usager.ère.s de l’espace public et permettent aux contribuables d’économiser sur leurs taxes foncières.
La compréhension du champ d’action des investisseurs privés est parfois galvaudée puisqu’il s’agit du développement d’intérêts et de modes de gestion, et non pas d’acquisition par des groupes privés d’espaces publics. Cette dernière option est pratiquement inexistante. On remarque à l’inverse une tendance à la requalification publique d’espaces autrefois privés. La multiplication de terrasses de cafés, les étals des marchés, d’affiches publicitaires, la concession de l’entretien du mobilier et des espaces urbains à des compagnies privées ou encore la mise en place de caméras de surveillance - toutes ces initiatives se présentent le plus souvent sous forme de contrats, licences ou concessions entre le propriétaire public et l’occupant. Les autorités locales mettent en location l’espace public pour récolter des fonds, par exemple pour des événements privés ou pour des compagnies. Cette démarche se révèle une façon de pallier les coupures budgétaires des fonds publics et l’incapacité des autorités à créer ou maintenir ces espaces.
En offrant ses espaces aux investisseurs privés, les espaces publics urbains deviennent un cadre propice à la consommation et se présentent comme un champ d’expériences récréationnelles et commerciales. La dynamique qui en résulte les présente comme des lieux orientés vers le.la client.e et encourage les usager.ère.s à dépenser pour divers biens et services. Cette logique du profit entraîne un contrôle accru de la sécurité des espaces et de leur identité, et par le fait même une tendance à rejeter les éléments ou personnes indésirables. L’exclusion de certaines populations, la limitation des libertés sociales et la diminution des possibilités d'interaction vont à l’encontre de l’espace public.
La valeur d’échange ou la valeur marchande de l’espace public se substitue ou s’adjoint à sa valeur d’usage. Le consentement des pouvoirs publics pour la mise à disposition d'espaces différenciés et équipés pour y tenir des activités festives et commerçantes revient à modifier le spectre d’usage de l’espace public et peut avoir plusieurs niveaux d’implantation du privé, rendant floues les frontières entre le public et le privé.
Légende et crédit : Voiles en voiles au Port de Montréal
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