Lieu strictement fonctionnel, prière de ne pas s'amuser
Et si l'espace urbain devenait un terrain de jeu pour tous?
La ludification est une stratégie de conception et de gestion de plus en plus employée pour l’aménagement des espaces publics présentant des avantages notamment pour informer et engager les citoyen.ne.s dans les processus d’idéation. Cette approche repose sur le transfert de mécanismes et de signaux propres au jeu dans des contextes a priori non ludiques. Elle démontre des qualités pour la revitalisation des villes, la modification des comportements des citoyen.ne.s, ou encore pour générer un impact positif sur la vie urbaine. À titre d’exemple, plusieurs études soutiennent de quelle manière une installation ludique favorise l’adoption de comportements durables chez les usager.ère.s de l’espace public, que ce soit pour l’utilisation des poubelles, des cendriers ou autres. Il s’agit de transformer l’essence d’une action ou d’un comportement pour lui conférer une dynamique propre au jeu en améliorant l’engagement et l’expérience de l’usager.ère. Comme mode d’interaction et d’appréhension, la ludification bouleverse notre positionnement face aux éléments de notre quotidien et renouvelle notre expérience de la ville. Le jeu permet de valoriser un lieu en le rendant plus attractif, notamment pour de nouveaux usager.ère.s, d’animer un espace et de lui donner une identité. Par sa faculté d’intégration du fictionnel et de l’imaginaire dans le rapport au monde, le jeu réactive notre enchantement face au paysage urbain et remet en question notre rapport à ses divers éléments comme le mobilier urbain, la signalétique routière ou la délimitation des espaces.
La conception des espaces publics s’articule autour de dispositifs utilitaires et instrumentaux. La ville repose sur une structure hautement fonctionnelle visant à garantir une utilisation normalisée et prévisible de ses espaces. L’urbanisme moderne est statique, anticipé et calculé selon des objectifs précis et certifiés pour éviter toute forme de dérive. À l’inverse, le jeu insère une part d’incertitude, de spontanéité et d'irrationalité et révèle le potentiel du paysage urbain tout en activant les occasions d’interactions sociales. Le détournement des fonctions prescrites via le jeu neutralise l’aliénation du citoyen.ne et sa soumission aux codes de la civilité urbaine. L’approche ludique révèle, détourne, réenchante, surprend, étonne et permet l’expérimentation des espaces vécus au quotidien. Ainsi, en réaction à l’utilitarisme, le jeu permet une réappropriation libre des espaces urbains et une potentielle redéfinition de ses règles. Il introduit une certaine malléabilité grâce à la fiction et l’imaginaire qui lui sont inhérents. De même, l’incertitude propre au jeu, ses propriétés pour créer, improviser et inventer, est une opportunité pour détourner la fonctionnalité de la ville.
Une ville ludique procède d’un phénomène de transformation de la ville en vaste terrain de jeu. Mais est-ce que les dispositifs présentés comme ludiques donnent vraiment lieu à une réappropriation libre des espaces ? Malgré sa popularité et ses prémices récréatives, le mobilier interactif n’offre la plupart du temps que bien peu de latitude aux usager.ère.s. Son utilisation s’avère programmée et attendue. Ne s’agirait-il pas d’abord d’encourager des comportements ludiques sans prescrire les règles du jeu, des usages spécifiques, puis de veiller à conserver le potentiel d’appropriation et de détournement des espaces par les citadins afin de veiller à une réelle ludification des espaces publics ?
Légende et crédit :
image 1 : Tunnel entre Westmount Square et la station de métro, Montreal, photo de Jean Gagnon
image 2: Montréal souterrain, photo de Olivier Boisvert-Magnen
Pour en savoir plus
Quentin Stevens, The Ludic City : Exploring the potential of public space