Espace fermé pour l'hiver, merci de revenir durant la saison estivale
Et si la nordicité était au coeur de nos réflexions sur l'espace public?
La mondialisation alimente un processus d’homogénéisation globale des villes où des solutions d’aménagement similaires sont transposées d’une métropole à l’autre. Ce contexte encourage la multiplication de configurations urbaines adoptées pour leur efficacité, mais somme toute génériques et impersonnelles. Dans le même ordre d’idées, l’hygiénisation des espaces publics et le branding des quartiers auxquels on tend à définir une identité semblent servir toujours davantage le développement commercial et le tourisme que les citoyens. Montréal est particulièrement concernée par ce mouvement puisqu’elle présente des propriétés uniques et complexes, qu’il s’agisse d’enjeux géographiques, culturels ou historiques. De plus en plus, la nécessité de favoriser une esthétique unique, non générique, et des solutions particulières au cas montréalais paraît incontournable.
Les tentatives de définition de l’espace public montréalais se fondent sur des propriétés singulières, identifiables, et qui différencient résolument Montréal des autres villes québécoises, canadiennes et nord-américaines. Autrement dit, on tente de répondre à la question de savoir qu’est-ce qui caractérise la « montréalité » d’abord décrite par Melvin Charney ? Outre le patrimoine bâti de la métropole et le tissu urbain qui la caractérise - l’expression de Charney venant de considérations architecturales -, la montréalité peut être comprise comme un phénomène sociologique, symbolique et référentiel. Plusieurs éléments sont vecteurs de l’identité urbaine de Montréal et alimentent l’imaginaire collectif. On retrouve par exemple les plex, les commerces de proximité comme les dépanneurs, les grilles de rue orthogonale et les îlots d’habitation rectangulaires traversées par une voie de distribution interne (ruelle), le retrait des habitations par rapport à la rue et les installations extérieures (escaliers, balcons), la topographie (île, montagne) et les qualités de la ville à titre de métropole francophone nord-américaine. Parmi les différents critères servant à définir Montréal, la nordicité s’inscrit comme l’un des plus marquants dans l’imaginaire collectif alors qu’il est bien souvent inconsidéré dans les réflexions pour l’aménagement des espaces publics.
Le nord est bien entendu une question de réalité géographique, mais il relève également d’une pensée et d’une attitude face au climat. Louis-Edmond Hamelin a tenté de définir les déclinaisons de cette nordicité dans laquelle vivent les Montréalais.es. Cette dernière se singularise par la variabilité de ses éléments. Dégel, redoux, tempêtes de neige et averses de pluie se succèdent tout au long de la saison froide rendant d’autant plus complexe la vie à l’extérieur. Des études toujours plus nombreuses tracent des pistes de solution pour améliorer les conditions de la vie communautaire dans les espaces publics tout au long de cette période qui couvre près de la moitié de l’année dans la métropole.
Le premier enjeu de la vie urbaine en hiver est le confort. Encourager l’appréciation des espaces extérieurs en période hivernale revient à favoriser ses aspects positifs et de disposer de moyens pour rendre la perception du climat plus agréable. L’ensoleillement, la protection contre le vent, la gestion du déneigement (pluie, glace, névasse, accumulation d’eau) constituent les principaux facteurs qui affectent le confort des citoyen.ne.s en hiver. De fait, les obstacles reconnus comme vecteurs majeurs de déplaisir en hiver sont la pluie (frein principal aux déplacements actifs) suivie de la noirceur, des surfaces glissantes, du froid, de la chute de neige, du vent, et des surfaces recouvertes de neige. Il s’agit donc de veiller à la conservation et au maintien d’une température corporelle considérée comme confortable, et de veiller à respecter les éléments déterminants dans le choix des comportements que les citoyen.ne.s adoptent à l’extérieur.
La prise en compte de la nordicité dans l’élaboration et la conception des aménagements urbains montréalais se présente comme l’un des aspects clés pour améliorer le vivre ensemble tout au long de l’année. De fait, la climatologie urbaine offre des ressources essentielles pour concevoir des villes adaptées à leur environnement et éviter d’adopter un mode de vie en contradiction avec le climat. Il s’agit par exemple de favoriser la mobilité en saison hivernale (trottoirs sécuritaires, pistes cyclables hivernales) les différentes modalités de déplacement (plus de sentiers de randonnées hivernale, services d’accompagnement pour les aînés) et les possibilités de demeurer actif (patinoires, piste de ski, butte de glisse), de s’assurer que l’espace de vie ne soit pas trop contraint et diminué en hiver (plus de communication pour un mode de vie épanoui en hiver, soutenir l’animation de l’espace public hivernal, autoriser des terrasses et lieux chauffés), notamment pour les tranches de la population qui sont le plus affectées par la saison froide comme les aînés.
Mais l’hiver est également une question de perception. Est-ce qu’on agit en réaction, contre l’hiver, ou bien est-ce qu’on l’adopte ? Est-ce qu’on se donne les moyens de l’adopter avec des initiatives comme l’implantation de zones urbaines microclimatiques ? De quelle manière l’hiver affecte les qualités de l’espace public comme vecteur d’interactions sociales ?
Le retard de Montréal par rapport aux pays scandinaves sur le mode de vie hivernal est souvent évoqué. Néanmoins, il paraît indispensable d’opter pour l’élaboration d’un modèle propre et unique, à l’image de la vie hivernale montréalaise. Des projets récents soulignent l’importance de prendre des décisions en regard de la montrealité et de la nordicité de la ville, de son climat, de se connaître et de se reconnaître dans les prises de décisions effectuées à cet égard.
Légende et crédit : piscine municipale en hiver, radio-canada / Josée Ducharmee
Pour en savoir plus
CHARNEY, Melvin. « The Montrealness of Montreal: Formations and Formalities in Urban Architecture ». The Architectural Review, 167, 999 (1980), p. 299–302.