ManœuvresSémaphore pour l’espace public

Danger. Par sécurité, toute liberté est proscrite

Et si on légitimait les friches urbaines comme des espaces publics à part entière?

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Terrain vague, brèche, tiers paysage, plusieurs expressions visent à définir un phénomène urbain que l’on retrouve le plus souvent sous le nom de friche. La friche n’est pas un espace vierge laissé pour compte dans le paysage des métropoles. Elle procède plutôt d’une phase transitoire entre deux modalités d’occupation, et au cours de laquelle nulle autorité politique ou foncière n’exerce de droit pour assurer sa gestion. Son essence se comprend donc plus aisément par rapport à sa valeur temporelle qu’à la définition de ses critères topographiques qui sont hétérogènes et multiformes. La friche émerge au déclin d’un usage et subsiste dans l’attente d’une réaffectation certaine. Cet intermède de jachère urbaine se décline en trois étapes successives : l’apparition de la friche - liée à la désaffection d’un lieu et à des conjonctures singulières comme la désindustrialisation des centres urbains -, son temps de veille - liée à la récusation temporaire de la charge d’un espace, soit de sa gestion ou de son occupation -, et sa réhabilitation - liée à la mise en oeuvre d’une nouvelle fonction de l’espace par les municipalités ou les propriétaires. Bien que la friche soit le plus souvent associée aux notions de vacuité et d'inanité, elle se révèle riche en ressources et en opportunités.

Les friches tissent un réseau d’interstices urbains qui incarne à la fois le paradigme du désordre dans la cité et un idéal de liberté socio-économique et écologique. Dans cette dernière appréhension, les friches sont reconnues pour le rôle qu’elles jouent dans le maintien de la vitalité de la biodiversité des villes, dressant des ponts entre les écosystèmes qui s’y déploient. De même, elles offrent de nombreuses possibilités pour penser et expérimenter la ville. Une friche, comme concept et comme espace, est à même de générer des projets innovants. Du point de vue culturel, la liberté qu’elle suppose inspire artistes, architectes et urbanistes dans l’exercice de leurs pratiques. On retrouve par exemple cette idée de la culture hors-la-loi avec l’organisation de raves à ciel ouvert, des skate-parks improvisés dans des lieux désaffectés ou encore des projets plus cadrés comme celui du Musée du monde en mutation. Selon des considérations sociales, la friche permet le tâtonnement dans la fabrique des villes en démocratisant la notion d’autorité pour l’aménagement des espaces et l’articulation des initiatives de développement durable, ainsi que du point de vue de la réappropriation des ces espaces par la biodiversité.

La bienveillance présumée avec laquelle sont menées ces initiatives soulève néanmoins d’importants débats sur la hausse de la valeur foncière des sites environnants et la potentielle gentrification qui en découle. Il ne s’agit pas de gentrification au sens de substitution d’une population pour faire place à une classe sociale plus élevée, mais bien d’élitisation induite par les catégories sociales auxquelles se destine la revalorisation des secteurs. Ce processus peut être compris comme une forme d’éviction indirecte sous le couvert d’entreprises associées au développement durable.

La friche a une valeur indéniable et unique, celle du vide, du non-construit, de la faille, du flou, du non-planifié, de la marginalité, et, par extension, d’une certaine forme de liberté. Elle incarne la rareté des lieux non prescriptifs, libres de « marketisation », de sursécurisation, de suraménagement, libres d’une charge biaisée par l’approche des aménagistes et des autorités. La friche est un espace de respiration dans le tissu urbain où le désordre est maître-mot et laisse place au jeu, à l’expérimentation, à l’échange non structuré, à la transaction sociale improvisée, au flânage. N’est-elle pas, en fin de compte, l’ultime parangon de l’espace public libre ?

Légende et crédit : friche industrielle à Lachine-Est, radio-canada / Ivanoh-Demers

Pour en savoir plus

https://cremtl.org/actualites/2020/friches-urbaines-apprentissages-passage-laction

https://lamdd.org/actu/2020/friches-urbaines-montrealaises-riches-espaces-vivants-preserver

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/friches

https://effa2015.umontreal.ca/architecture-de-paysage/magar-bisson/caroline/projet_final/plan-de-réhabilitation-d’une-friche

https://www.aiglonindigo.com/blogue-detail/valoriser-les-friches-urbaines-l-experience-du-champ-des-possibles

https://blog.defi-ecologique.com/friches-urbaines/

https://www.ladepeche.fr/2021/06/11/friche-urbaine-pourquoi-on-laisse-pousser-lherbe-9599365.php

https://www.scet.fr/reconquerir-vos-friches-urbaines

https://www.arb-idf.fr/article/levons-le-voile-sur-la-friche-urbaine/

https://mafricheurbaine.fr

https://www.lagazettedescommunes.com/dossiers/requalification-des-friches-urbaines-enjeu-majeur-pour-les-collectivites/

http://www.theses.fr/2006PA083669

https://ville.montreal.qc.ca/operationpatrimoine/grand-prix-2017-jardin-biodiversite-et-pollinisateurs

http://www.tablesdequartiermontreal.org/transformer-une-friche-industrielle-en-ecoquartier-a-lachine-est/

https://exb.fr/fr/le-catalogue/311-flore-des-friches-urbaines.html

https://www.actu-environnement.com/ae/news/Reamenagement-friches-urbaines-sol-aide-decision-33520.php4

https://reporterre.net/Les-friches-urbaines-sont-d-etonnants-reservoirs-de-biodiversite

https://calenda.org/482057

https://donnees.montreal.ca/ville-de-montreal/frichenaturelle

https://documentation.departement06.fr/index.php?lvl=categ_see&id=77681